Recours entre constructeurs : finie la trichotillomanie ! Le délai de prescription enfin précisé.
Recours entre constructeurs : le délai de dix ans ne s’applique pas ! (3ème Civ, 16 janvier 2020, n° 18-25-915).
Les juristes d’entreprises et leurs avocats s’arrachaient les cheveux (trichotillomanie pour les intimes – vive l’infinité de l’apprentissage) : le recours entre constructeurs, dix ans à compter de la réception ou cinq ans ? Tout l’enjeu était d’éviter une prescription, à savoir une impossibilité d’être garanti d’une condamnation par un autre constructeur de la même opération.
En ce début d’année 2020, la Cour de Cassation leur a enfin évité d’être trop dégarni en tranchant une divergence entre les Cours d’Appel.
Jusqu’à présent, certaines juridictions estimaient qu’il devait être fait application de l’article 1792-4-3 du Code Civil qui dispose qu’en-dehors des actions régies par les articles 1792-3 (garantie de bon fonctionnement), 1792-4-1 (garantie décennale) et 1792-4-2 (actions contre le sous-traitant), les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.
D’autres Cours d’Appels considéraient que les recours entre constructeurs étaient régis par l’article 2224 du Code Civil, selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jours où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, à savoir le délai de prescription de droit commun.
Selon que vous étiez d’un côté ou de l’autre de la barre, vous argumentiez selon l’une ou l’autre des positions des Cours d’Appel.
Le Grand Juge a enfin tranché : les recours entre constructeurs sont soumis à l’article 2224 du Code Civil, soit au délai de cinq ans.
L’arrêt est exceptionnellement très didactique. La Cour de Cassation nous rappelle aimablement que les articles 1792 et suivants du Code Civil sont inclus dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage, qui n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants.
Elle souligne également que fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur pourrait avoir pour effet de priver le premier, lorsqu’il est assigné par le maître de l’ouvrage en fin de délai, du droit d’accès à un juge. Si le maître d’ouvrage vous assigne 9 ans, 11 mois et 3 semaines après la réception (si, si, ça arrive), vous n’avez pas le temps d’appeler en cause les autres constructeurs.
La Cour de Cassation nous enseigne qu’en définitive, le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du Code Civil, et qu’il se prescrit donc par cinq ans, en général à compter de l’assignation en référé expertise délivrée par le maître d’ouvrage à l’entrepreneur principal.
Je rappelle que la Cour de Cassation est un degré de juridiction et qu’elle ne s’auto-saisit pas, si bien que lorsque nous autres juristes râlons qu’elle n’a pas encore adopté de position, c’est parce qu’aucun de nous ne l’a encore saisie… Donc merci à celui qui a porté son litige devant elle ! (Et navrée pour le carreleur et son assureur dans l’arrêt, qui finalement n’échapperont pas à l’action en garantie de l’architecte…).