Devoir de conseil : le maître d’œuvre attendu au tournant.
Devoir de conseil du maître d’œuvre : attention à la réception ! (CE 8 janvier 2020, n° 428280, Bordeaux Métropole).
Dans le cadre des travaux liés au tramway, Bordeaux Métropole avait confié la maîtrise d’œuvre à un groupement conjoint. Suite à la réception intervenue en 2004, des désordres affectant les dalles de revêtement sont survenus, et le maître d’ouvrage a souhaité engager la responsabilité des intervenants.
Il demandait à titre principal l’engagement de la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, et à titre subsidiaire, l’engagement de la responsabilité contractuelle des seuls maîtres d’œuvre (la théorie des dommages intermédiaires n’étant pas admise par le Juge administratif, les maîtres d’ouvrage publics ne peuvent pas rechercher la responsabilité contractuelle des entreprises postérieurement à la réception).
Le Tribunal administratif puis la Cour administrative d’appel ont rejeté les demandes de Bordeaux Métropole, qui a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat où elle a obtenu gain de cause.
Ce dernier commence par rappeler que la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance. Ce type de manquement au devoir de conseil empêche la personne publique de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves.
La Cour administrative d’appel avait relevé que les désordres n’étaient pas apparents lors de la réception des travaux, et qu’il ne résultait pas des pièces du dossier que les maîtres d’œuvre auraient eu connaissance de ces désordres en cours de chantier.
Elle avait donc logiquement écarté la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre.
Le Conseil d’Etat n’est pas de cet avis et va beaucoup plus loin. Il estime que les Juges auraient dû vérifier si les maîtres d’œuvre auraient pu avoir connaissance de ces vices s’ils avaient accompli leur mission selon les règles de l’art.
Ainsi, face à un désordre qui n’était apparent ni au cours du chantier ni à la réception, il peut être jugé que le maître d’œuvre aurait dû en avoir connaissance malgré tout, et en informer le maître d’ouvrage. Sophocle ne disait-il pas : « J’ai l’habitude de me taire sur ce que j’ignore. » ?