Les dommages aux existants : une réalité à multiple facettes.
Le régime juridique applicable en matière de responsabilité
Bonjour à tous,
Aujourd’hui nous allons voir ensemble quel est le régime applicable en matière de responsabilité en cas de dommages aux existants.
Le terme « d’existant » est un terme couramment utilisé dans le domaine de la construction, pourtant c’est un terme ignoré du Code Civil, d’où le fait que systématiquement les contrats d’assurance en donnent une définition, laquelle va varier selon les types de police.
En droit civil, les existants vont donc s’entendre tout simplement des ouvrages qui « préexistent » à la réalisation des travaux neufs :
Peu importe qui en est propriétaire : le Maitre d’ouvrage ou un tiers, et peu importe la position physique de cet existant par rapport aux ouvrages neufs : qu’ils soient directement accolés aux travaux neufs ou simplement mitoyen sur un terrain voisin ou à proximité.
Néanmoins en fonction de ces deux variables le régime juridique applicable à la réparation du dommage qui viendrait affecter lesdits existants va varier.
La question du régime juridique applicable à la responsabilité civile en cas de désordres affectant les existants, suppose donc de distinguer selon que le Maitre d’ouvrage des travaux neufs est ou non propriétaire des existants.
Si le Maitre d’ouvrage est propriétaire des existants et que ces existants subissent un dommage :
* En cours de travaux :
Le Code Civil envisage la situation de manière indirecte dans le cadre des marchés de travaux au travers des dispositions de l’Art 1789 C Civil.
La formulation de cet article 1789 datant de 1804, et l’archaïsme des termes utilisés conduit parfois les praticiens à hésiter quant à son application aux dommages affectant les existants en cours de chantier.
Cet article dispose que : « Dans le cas où l’ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l’ouvrier n’est tenu que de sa faute »
Bien que la lecture de l’article 1789 laisserait penser le contraire, la jurisprudence semble considérer que le régime issu de cet article est un régime de présomption de faute, qualifiée aussi d’obligation de résultat allégée en ce sens que, contrairement à une présomption de responsabilité qui ne cède que devant la preuve positive de la cause étrangère, il ne s’agit ici que d’une présomption simple susceptible de preuve contraire, sans pour autant prouver la cause étrangère.
Cela revient à permettre au débiteur de s’affranchir de sa responsabilité, en prouvant l’absence de faute, ce qui est moins contraignant que la présomption de responsabilité, dont on ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère : Cass Civ 3ème, 19 mai 2009, N° 08-13467
* Après-réception :
Si on s’en tient au dommage qui affecterait les existants par répercussion des ouvrages neufs une fois réceptionnés, la jurisprudence considère qu’en matière de RC décennale, il convient d’appliquer aux dommages consécutifs le même régime juridique que celui concernant les dommages d’origine.
Civ. 1re, 29 février 2000, N° 97-19.143 n° 450 (arrêt Chirinian), Civ. 3e, 05 juillet 2000, N° 98-21.040 n° 1102, Cass Civ 3ème 16 juin 2009 Pourvoi n° 08-12.371. Arrêt n° 822 ; Cass Civ 3ème 13 décembre 2011 N° 11-10.014 et Cass Civ 3ème 24 janvier 2012 N° 11-13.165
Ceci a pour conséquence que le Maitre d’ouvrage propriétaire des existants peut engager la RC décennale des constructeurs au titre de dommages affectant les existants, dès lors qu’ils trouvent leur origine dans un désordre décennal affectant les travaux neufs et cette responsabilité est donc naturellement d’ordre public (Art 1792-5 C Civil).
Ce régime des garanties légales de responsabilité a même été appliqué à des hypothèses où les désordres provenait finalement d’un vice propre de l’existant en raison d’une absence de traitement par les travaux neufs dans le cadre d’une rénovation par exemple : L’indemnisation était opérée en démontrant que les travaux neufs s’étaient finalement révélés comme impropres à leur destination d’être rénovatoires :
Civ. 3e 31 octobre 2001, n° 1406 N° 99-20.046, n° 99-20.225, n° 99- 20.305
Si le Maitre d’ouvrage n’est pas propriétaire des existants et que ces existants subissent un dommage, il conviendra de distinguer selon que les travaux neufs consistent à intervenir sur ou en dessous des existants situés sur le même terrain, des cas où ils consistent à intervenir sur des existants sis à côté ou à proximité sur un terrain voisin.
1er cas : les travaux neufs consistent à intervenir sur ou en dessous des existants situés sur le même terrain.
On peut imaginer plusieurs hypothèses :
– Le Maitre de l’ouvrage est un locataire qui fait effectuer des travaux d’aménagement dans l’immeuble où il est locataire en tout ou partie et ses travaux affecte des parties préexistantes de l’immeuble propriété de son Bailleur
– Le Maitre de l’ouvrage est un Copropriétaire et ses travaux affectent des parties communes
– Le Maitre de l’ouvrage est un propriétaire volumier et ses travaux affectent le volume en infrastructure
Dans tous ces cas de figure, sa responsabilité civile pourra être engagée :
– au plan contractuel par son Bailleur, pour ce qui est du locataire,
– au plan délictuel par le syndicat des copropriétaires, pour ce qui est du copropriétaire, ou par le propriétaire du volume tiers endommagé pour ce qui est des constructions dans le cadre d’une division volumétrique.
2ème Cas : Les travaux neufs consistent à intervenir sur des existants situés à côté ou à proximité sur un terrain voisin.
On appliquera alors le régime de responsabilité délictuelle sans faute, en cas de trouble anormal causé aux voisins et donc notamment de détérioration de leur immeuble préexistant.
S’agissant du Maitre de l’ouvrage, le régime de responsabilité sera celui de la responsabilité sans faute sur la base de la jurisprudence sur les troubles anormaux de voisinage.
Il suffira donc d’établir la matérialité du trouble qui peut consister en des dommages matériels à l’immeuble voisin préexistant, d’où la pratique du référé préventif afin de constater préventivement et contradictoirement l’état de l’immeuble voisin avant la réalisation des travaux.
S’agissant des constructeurs intervenant sur le chantier, les choses sont un peu plus compliquées.
La jurisprudence a admis voici quelques années, d’en faire des « voisins occasionnels » le temps du chantier, dès lors que les troubles sont imputables à leur activité ce qui ne sera pas nécessairement le cas de l’entreprise générale, mais celui de ses sous-traitants par exemple.
Cass Civ 3ème 30 juin 1998 N° 96-13.39 Cass Civ 9 février 2011 N° 9-71.570
Ils peuvent donc se trouver débiteurs d’une responsabilité sans faute vis-à-vis des voisins, mais également et c’est là le côté novateur de la jurisprudence, vis-à-vis du Maitre de l’ouvrage des travaux neufs, dès lors que ce dernier a préalablement indemnisé les voisins et se trouve de facto subrogé dans leurs droits à indemnisation sur la base d’une responsabilité délictuelle sans faute pesant sur ces voisins occasionnels que sont les constructeurs.
Cass Civ 3ème 24 septembre 2003, 02-12.873, Publié au bulletin
La semaine prochaine, nous verrons que le régime juridique applicable cette fois aux garanties d’assurance va répondre à d’autres règles et à d’autres critères que le régime de responsabilité.
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