Impropriété à destination : sésame ouvre-toi !
Bonjour à tous, dans cette vidéo je vous propose de voir comment la notion d’impropriété à la destination peut être le sésame qui ouvre les portes de l’indemnisation en matière de sinistres construction.
Si on associe souvent la responsabilité décennale et les assurances qui vont avec, à l’idée d’atteinte à la solidité ou à des fissures du gros œuvre, on oublie parfois que le Code civil prévoit aussi la possible mise en jeu de la responsabilité décennale en cas d’impropriété à la destination de l’ouvrage.
C’est l’un des deux critères que doit respecter le désordre ou la non-conformité découvert après réception, pour donner lieu à indemnisation des assureurs en matière de construction.
Le terme n’a volontairement pas été défini par la loi, il faut donc se reporter au sens donné à cette expression par la jurisprudence.
Cette évolution de la notion « d’impropriété à la destination » peut se résumer en deux axes majeurs :
-Une adaptation permanente aux évolutions de la société de la notion entendue objectivement
– Le développement plus récent d’une conception subjective de la notion : la destination de l’ouvrage devient aussi la chose des parties au marché de travaux.
Voyons tout d’abord comment la notion, entendue objectivement, s’est constamment adaptée aux évolutions sociétales.
Cette évolution s’articule autour de cinq grands axes :
Premier axe : la destination d’un ouvrage est l’étanchéité à l’eau et à l’air.
Dès lors que de l’eau pénètre dans l’ouvrage, même faiblement et quelle que soit l’origine de la pénétration – par les sous-sols, la toiture, les murs les portes ou les fenêtres, l’ouvrage est impropre à sa destination. La Cour de cassation ira même jusqu’à écrire qu’une cave n’ayant pas vocation à être inondée, la pénétration d’eau constatée rendait l’ouvrage impropre à sa destination.
(Civ 3ème 05 Mars 2020 n° 19-11.879)
Deuxième axe : la destination d’un ouvrage, c’est de permettre une occupation en toute sécurité.
Dès lors que la sécurité mais aussi la salubrité de l’ouvrage est compromise, il est impropre à sa destination.
Cela peut résulter aussi bien :
– d’un désordre physique et visible à l’œil nu (par exemple un défaut de planéité du sol entrainant des risques de chute)
– que d’une simple non-conformité de l’ouvrage aux dispositions du Code de la Construction et de l’habitation applicables en matière de sécurité d’hygiène ou de salubrité, par exemple non-respect des normes de sécurité incendie ou même antisismiques.
Troisième axe : la destination d’un ouvrage, c’est de permettre une occupation dans des conditions de température normales.
Une température anormalement basse dans les locaux en hiver, quelle qu’en soit la cause, rend l’ouvrage impropre à sa destination.
Pour ce qui est des températures anormalement élevées, elles étaient jusqu’ici appréciées en matière d’immobilier professionnel, en raison des défaillances de la configuration des lieux, c’est à dire la possibilité ou non d’ouvrir les fenêtres et des défaillances du système de climatisation.
Une évolution toute récente semble se dessiner avec l’entrée en vigueur au 1er juillet 2021 de la nouvelle réglementation environnementale 2020 et l’émergence du concept de « confort d’été » dans les immeubles d’habitation.
Il y a tout lieu de penser que la jurisprudence s’emparera de ce nouveau concept pour l’intégrer dans la destination attendue d’un ouvrage en 2022… même si jusqu’à une époque récente elle n’allait pas dans ce sens (Civ 11 juillet 2019 N° 18-16.751).
Même en l’absence de système de climatisation, un ouvrage devra en lui-même garantir à ses occupants une température minimale en cas de fortes chaleurs.
Quatrième axe : la destination d’un ouvrage, c’est de permettre une occupation dans des conditions d’isolation phonique jugées normales à dire d’expert, par-delà la règlementation phonique minimale.
Une évolution jurisprudentielle majeure a consisté à considérer que même en cas de respect de la réglementation en matière d’isolation phonique, les constructeurs pouvaient voir leur responsabilité décennale engagée et les assureurs, leur garantie valablement mises en jeu, si à dire d’expert, les émergences sonores constatées rendaient l’occupation des locaux impossible.
(Ass. Plén. 27 octobre 2006 N° 05-19.408)
On pense aussi à ces sinistres récents de prise au vent de revêtements de façade d’un immeuble d’habitation entrainant des sifflements d’une intensité jugée insupportable rendant l’ouvrage impropre à sa destination.
Cinquième axe : il faut citer le cas d’une évolution jurisprudentielle brisée par la loi : la prise en compte de la performance énergétique dans la destination attendue d’un ouvrage.
Si la loi elle-même, après la jurisprudence, a intégré la performance énergétique dans la destination de l’ouvrage, elle a aussi imposé pour la première fois au juge des critères pour juger de l’impropriété à la destination dans le cas spécifique de la performance énergétique, aux termes de l’article L 111-13-1 du CCH, qui deviendra à partir du 1er juillet prochain L 123-2 CCH.
Or ces critères sont rédigés de telle façon qu’il est pratiquement impossible d’y satisfaire :
– preuve positive du bon entretien des équipements concourant à la performance
– surconsommation mesurée alors qu’il n’existe aucun critère légal de mesure
– coût exorbitant d’utilisation de l’ouvrage en résultant, le terme étant lui aussi des plus vagues…
Voyons maintenant comment s’est développée récemment une conception subjective de la notion : la destination de l’ouvrage devient aussi la chose des parties dans les marchés de travaux
Dans un arrêt de principe, la Cour de Cassation a admis que la destination prise en compte pour juger de l’impropriété et donc de la mise en jeu de la RC décennale, pouvait avoir été définie spécifiquement par les parties dans le marché de travaux.
(Civ 3ème 10 octobre 2012 N°10-28309).
Il s’agissait d’un immeuble d’habitation et de désordres phoniques résultant de la pose de cloisons conformes aux normes en vigueur pour un logement de moindre qualité, alors que la Cour avait relevé qu’il s’agissait d’appartements désignés dans la convention comme des appartements d’exception.
Cela a également été jugé à propos d’un cloquage du sol d’un ouvrage dont la destination conventionnelle était d’être d’un magasin d’exposition de meubles, rendant impossible de procéder au déplacement des meubles, de les mettre en valeur et d’offrir aux clients potentiels un cadre attractif pour inciter à leur achat (Civ 3ème 29 juin 2017 N° 16-16637).
Vous l’aurez compris, l’impropriété à destination est une vaste notion qui a plutôt tendance à s’étendre de plus en plus, permettant ainsi une indemnisation plus aisée.
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