Opposabilité d’une expertise amiable
Bonjour à tous ! Aujourd’hui je vous propose d’évoquer la question de l’opposabilité d’une expertise amiable.
Comme vous le savez aussi bien que moi, un litige de construction est autant un débat juridique qu’un débat technique.
Or un Juge n’est pas un technicien du bâtiment, raison pour laquelle il a besoin, contrairement à d’autres types de litige, de s’appuyer sur l’avis d’un expert en construction, qui va lui soumettre un rapport.
Mais encore faut-il que ce rapport soit opposable aux parties au procès, en vertu du principe de la contradiction.
Il est de jurisprudence constante que, dans l’hypothèse d’un rapport d’expertise unilatéral, le Juge ne peut pas se fonder exclusivement sur ce rapport pour rendre sa décision, peu important que lors de l’audience ledit rapport ait été soumis à la libre discussion des parties.
Ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710; 1re civ., 1er oct. 2014, n° 13-25.226
C’est une solution constamment réaffirmée par la Cour de Cassation selon laquelle une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties ne peut servir de fondement exclusif à la décision prise par le Juge.
2e civ., 5 mars 2015, n° 14-10.861
La décision est identique si l’expertise privée a été réalisée à la demande de l’une des parties, même en la présence des autres.
2e civ., 13 sept. 2018, n° 17-20.099 ; Com., 1er décembre 2021, 19-22.135
Un arrêt du 6 juillet 2022, même s’il a été rendu au sujet d’une vente et non d’une construction, a de nouveau illustré cette position jurisprudentielle.
Civ. 1ère, 6 juillet 2022, 21-12.545
Un couple avait acheté une table de cuisson, qui a par la suite explosé, blessant leur fille.
Une expertise amiable et médicale a été diligentée à la demande de l’assureur du couple, et les acquéreurs ont assigné le vendeur et son assureur ainsi que le producteur, en indemnisation sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.
La Cour d’Appel a retenu la responsabilité du producteur en se fondant sur le rapport d’expertise amiable, relevant qu’il avait été convoqué aux réunions d’expertise, qu’il avait participé à l’une d’elles mais avait été absent à deux autres.
La Cour de Cassation a considéré que les Juges d’appel avaient violé l’article 16 du code de procédure civile instaurant le principe de la contradiction, leur reprochant de s’être fondé exclusivement sur le rapport d’expertise amiable.
Ainsi, le principe est que si le Juge ne peut pas refuser d’examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d’une partie, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, c’est-à-dire une expertise amiable, quand bien même elle aurait été contradictoire.
L’exigence de la Cour de Cassation est donc que le juge ne peut se fonder exclusivement sur ce rapport d’expertise : il faut que sa décision soit corroborée par d’autres éléments de preuve.
La jurisprudence n’empêche toutefois pas les Juges de se fonder principalement sur le rapport d’expertise privée, et c’est là où le cœur de la solution apparaît : c’est la différence sémantique entre exclusivement et principalement.
Dans une affaire où il était versé un rapport, des photographies et des factures, la Cour de Cassation a estimé que la Cour d’Appel ne s’était pas fondée exclusivement sur le rapport d’expertise non judiciaire.
Civ 2ème, 8 juillet 2021, n° 20-10.428 ; Com, 9 décembre 2020, n° 19-17.291
Il s’agit donc d’apporter au Juge un faisceau de preuves, dont la principale mais non l’exclusive, est le rapport d’expertise amiable.
La sévérité de la jurisprudence à l’égard de ces rapports amiables atteste de l’intérêt à solliciter une expertise judiciaire, plus facilement opposable aux parties, et qui peut servir de fondement exclusif aux condamnations.
Je voudrais préciser pour finir que s’agissant de l’opposabilité aux constructeurs du rapport d’expertise dommages-ouvrage, dans le cadre d’une demande de remboursement de la franchise, la jurisprudence exige le respect d’un formalisme particulier, à la différence d’une simple expertise amiable.
En effet, aux termes des clauses types, l’assureur s’engage envers l’assuré à ce qu’il soit consulté avant le dépôt du rapport préliminaire et du rapport définitif, et à ce qu’il soit systématiquement informé du déroulement des différentes phases du constat des dommages et du règlement des indemnités.
Il doit donc être prouvé que les rapports do ont été transmis à l’assuré.
C’est seulement le respect de ce formalisme particulier qui rendra opposable le rapport do, la jurisprudence précisant que la présence à une réunion d’expertise et l’établissement d’un devis à la demande de l’expert ne suffisent pas à satisfaire à ces exigences.
Versailles, 3ème Chambre, 21 avril 2022, n° 21/00012
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