Perte de chance

perte de chance
Le 2 avril 2024

Perte de chance en droit de la construction

Bonjour à tous !

Aujourd’hui je vous propose de nous pencher sur la notion de perte de chance, et comment elle trouve son application en droit de la construction.

Un arrêt rendu le 29 février 2024 par la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation est venu rappeler que la réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

3ème Civ, 29 février 2024, n° 22-23.082

 

Enoncé ainsi, cela ne vous évoque peut-être pas grand-chose, alors nous allons examiner les contours de cette notion.

La perte de chance est une catégorie de préjudice qui a été créée par la jurisprudence et qui ne repose sur aucune disposition légale.

Généralement, pour être réparable, un préjudice doit être personnel, direct, actuel et certain.

Mais les Tribunaux ont été confrontés à des demandes relatives à des préjudices qui ne remplissaient pas tout à fait la condition de certitude ou la condition d’actualité, sans pour autant être purement éventuels.

C’est ainsi que la notion de perte de chance est née, recouvrant les cas où une personne perd la chance d’obtenir un avantage, un gain ou un droit.

La jurisprudence évoquait généralement « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » pour caractériser la perte de chance.

1ère Civ, 21 novembre 2006, n° 05-15.674

 

En 2016, la 3ème Chambre Civile en 2016 a estimé que la perte de chance impliquait « seulement la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain ».

3ème Civ, 7 avril 2016, n° 15-14.888

 

Ainsi le préjudice peut être futur, mais il ne doit pas être purement hypothétique : on doit raisonnablement pouvoir penser que la potentialité allait se concrétiser.

Les Juges doivent faire preuve de réalisme et n’admettre que la chance qui a réellement été perdue : sa probabilité doit être suffisante.

Une fois que la perte de chance a été admise, il faut ensuite évaluer son indemnisation.

Et le principe est que l’indemnisation ne peut jamais être égale à l’avantage qui aurait été tiré si l’événement manqué s’était réalisé : le montant est moindre puisque le préjudice n’est pas la privation de l’avantage, mais seulement la perte de chance d’avoir pu l’obtenir.

L’indemnisation est ainsi mesurée à la chance perdue, pour reprendre l’expression de la jurisprudence, et est modulée en fonction de la probabilité de la survenance de l’avantage qui aurait été procuré sans la faute du responsable.

1ère Civ, 14 novembre 2019, n° 18-23.915

 

L’indemnisation ne doit pas correspondre à la totalité du gain espéré.

Alors comment cette notion de perte de chance trouve son application en matière de construction ? Je vous propose plusieurs exemples pour l’illustrer.

Par exemple, un maître d’ouvrage qui règle un demi-million d’euros à une entreprise pour rénover un château en résidence hôtelière, travaux qui ne sont jamais entrepris, le constructeur étant placé en redressement judiciaire : la Cour de Cassation a considéré que le manquement de la banque et du notaire à leur devoir de conseil, en l’absence d’information sur le risque de payer des travaux non exécutés, consistait en la perte d’une chance qui devait être réparée à hauteur de 100.000 €.

3ème Civ, 7 avril 2016, n° 15-11.342

 

La perte d’une chance de ne pas conclure une vente ou de la conclure à d’autres conditions est également retenue dans le cas où un agent immobilier et un notaire ont manqué à leur devoir de renseignement et de conseil en se contentant des déclarations du vendeur qui affirmait qu’il n’avait pas réalisé de travaux depuis dix ans, alors que c’était le cas.

3ème Civ, 12 juin 2014, n° 12-22.037

 

Dans une autre affaire, la Cour de Cassation a estimé qu’un notaire qui s’est contenté d’une simple photocopie d’une attestation d’assurance, tronquée et non signée par l’assureur prétendu, et qui n’avait effectué aucune vérification supplémentaire malgré le caractère non probant de l’attestation produite, a commis un manquement à ses devoirs d’information et de conseil ayant fait perdre aux acquéreurs une chance de pouvoir renoncer à l’achat d’une villa couverte par aucune garantie, et justifiant sa condamnation, in solidum avec les vendeurs, à réparer le préjudice subi par les acquéreurs à hauteur de 50 %.

3ème Civ, 20 octobre 2021, n° 20-11.853

 

Un dernier exemple pour terminer, et pour laisser nos amis notaires en paix : un cas où un syndicat des copropriétaires a été condamné in solidum avec les maîtres d’œuvre à régler à une SCI, au titre d’une perte de chance de percevoir des loyers en raison de désordres, 95 % du montant des loyers qu’elle aurait perçus.

3ème Civ, 8 décembre 2021, 20-18.540

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