Architecte et clause limitative : la clause est-elle valable ?
Bonjour à tous ! Je vous propose d’examiner un revirement de jurisprudence tout récent qui va avoir d’importantes répercussions pour les architectes et les assureurs, et qui concerne la clause limitative de responsabilité souvent insérée dans leurs contrats.
Il n’est pas discuté que conformément à l’article 1792-5 du Code Civil, une clause limitative de responsabilité ne peut pas concerner la responsabilité civile décennale, cette dernière étant d’ordre public.
Toute clause qui écarterait ou limiterait la solidarité prévue à l’article 1792-4 du Code Civil serait réputée non écrite.
Il n’en est pas de même pour la responsabilité civile classique, qui est par exemple mise en jeu avant réception.
C’est pourquoi les architectes avaient pris l’habitude d’insérer dans leurs contrats une clause stipulant pour les autres responsabilités professionnelles, ils ne pouvaient être tenus responsables, ni solidairement ni in solidum, en raison des dommages imputables aux autres participant à l’opération.
Rapidement, la Cour de Cassation s’est prononcée en faveur de telles clauses limitatives de responsabilité, en vertu du principe selon lequel la loi du contrat s’impose aux parties, le juge étant alors tenu de respecter de telles stipulations contractuelles.
(3ème Civ, 11 mai 1988 n° 86-19.565 ; 3ème Civ, 19 mars 2013, 11-25.266)
L’application de cette clause a donc eu pour effet de limiter les condamnations prononcées à l’encontre des architectes, lorsque les dommages étaient imputables à plusieurs intervenants.
Plus récemment, en 2019, la Cour de Cassation a même estimé qu’une clause imprécise pouvait concerner tant la responsabilité solidaire que la responsabilité in solidum de l’architecte, étendant par la même le champ d’application de cette clause limitative.
(3ème Civ, 14 février 2019, n° 17.26403 ; 3ème civ., 7 mars 2019, n° 18-11.995).
Elle a même considéré qu’il ne s’agissait pas d’une clause abusive au sens du Code de la consommation, dès lors qu’elle ne vidait pas la responsabilité de l’architecte de son contenu, puisqu’il devait assumer les conséquences de ses fautes et sa part de responsabilité dans les dommages, sans pouvoir être condamné pour la totalité des dommages.
En ce début d’année 2022, la Cour de Cassation a toutefois opéré un revirement spectaculaire, écartant pour la première fois l’application la clause limitative de responsabilité de l’architecte pour un sinistre avant réception.
(Civ 3ème 19 janvier 2022 n° 20-15.376).
Dans cette affaire, un couple avait confié à un architecte la maîtrise d’œuvre de la rénovation d’un bien qu’ils venaient d’acquérir.
L’entreprise titulaire du lot gros-œuvre a abandonné le chantier, et des désordres sont apparus en cours de travaux.
Alléguant des malfaçons et un dépassement de budget, les époux ont assigné l’architecte, et par la suite ce dernier a été placé en liquidation judiciaire.
La Cour d’Appel a limité la condamnation de l’assureur de l’architecte au profit des maîtres d’ouvrage à 30 %, en retenant que les désordres étaient imputables pour partie à l’entreprise et pour partie à l’architecte, ce dernier étant fondé à se prévaloir de la clause limitative de responsabilité prévue à son contrat.
Les maîtres d’ouvrage ont alors formé un pourvoi, et l’arrêt d’appel a été cassé, au visa de l’ancien article 1147 du Code Civil, instaurant la responsabilité civile contractuelle.
La Haute Juridiction a estimé, je cite, que chacun des coauteurs d’un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, devait être condamné in solidum à la réparation de l’entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n’affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l’étendue de leur obligation à l’égard de la victime du dommage.
En examinant la clause litigieuse du contrat de maîtrise d’œuvre, la Cour de Cassation a contre toute attente, considéré qu’une telle clause ne limitait pas la responsabilité de l’architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d’autres constructeurs, et qu’elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d’ouvrage contre l’architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage.
La Cour d’Appel ayant constaté en l’espèce que les fautes de l’architecte étaient à l’origine de l’entier dommage, elle aurait dû écarter la clause et condamner in solidum l’entreprise et l’assureur de l’architecte.
Il s’agit donc d’un revirement très important pour les maîtres d’ouvrage, favorisant le recouvrement de leur créance, dans la mesure où contrairement aux entreprises, les architectes sont toujours assurés pour leur responsabilité civile avant réception.
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