Clause pénale et appréciation du juge
Bonjour à tous !
Je vous propose d’aborder ensemble les contours d’une clause pénale en droit de la construction, et plus précisément les pouvoirs du juge à cet égard.
Désormais prévue à l’article 1231-5 du Code Civil, ce type de clause, qui ne relève en aucun cas du Code pénal comme son nom pourrait le laisser penser, permet de définir à l’avance une indemnité, sous forme forfaitaire, qui sera versée par le débiteur de l’obligation contractuelle non respectée.
Ainsi en est-il des clauses pénales en cas de retard du constructeur dans les travaux, ou en cas de retard du maître d’ouvrage dans les paiements.
Dès que ce retard est constaté, la clause pénale peut être appliquée par le créancier de l’obligation, sans avoir besoin de recourir au juge ou de démontrer l’existence d’un préjudice.
Ce moyen de pression efficace peut permettre d’éviter une procédure judiciaire, mais il n’échappe pour autant pas à tout contrôle du juge, qui peut être saisi par l’une ou l’autre des parties.
L’article 1231-5 du Code Civil prévoit en effet que le juge a le pouvoir, même d’office, c’est-à-dire même si cela ne lui est pas demandé par les parties dans le cadre de l’instance, de modérer ou d’augmenter la pénalité si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
La clause pénale peut également être révisée par le juge lorsque l’inexécution n’est que partielle, l’indemnité étant alors réduite en proportion.
Il s’agit de dispositions d’ordre public, signifiant que les parties ne peuvent pas y déroger et que le contrat ne peut pas prévoir de clauses contraires : le juge pourra dans tous les cas exercer son pouvoir de révision s’il le souhaite.
Dans la mesure où certains marchés de travaux sont des contrats d’adhésion, comme en matière de sous-traitance par exemple, ce pouvoir du juge permet d’équilibrer les obligations des parties.
La Cour de Cassation exerce un contrôle sur ce pouvoir des juges du fond.
Ainsi, en cas de réduction de la pénalité, les juges doivent préciser dans leur décision en quoi le montant des indemnités de retard était manifestement excessif, sauf à s’exposer à une cassation de leur décision.
3ème Civ, 12 janvier 2011, 09-70.262, Publié au bulletin
La jurisprudence permet par ailleurs dans certains cas au créancier de cumuler les indemnités prévues dans la clause pénale avec des dommages et intérêts.
C’est le cas en matière de contrat de construction de maison individuelle, si les maîtres d’ouvrage justifient d’un préjudice distinct de celui forfaitairement réparé par les pénalités.
3ème Civ, 5 janvier 2022, n° 20-21.208
3ème Civ, 28 mars 2007, n° 06-11.313
Vous le voyez, le juge dispose de pouvoirs assez larges concernant l’application des clauses pénales.
Si le montant de l’indemnité prévu par la clause pénale peut ainsi être modulé, en revanche le juge est tenu par les cas d’ouverture de cette clause, et doit faire respecter l’article 1134 du Code Civil, devenue 1103, qui pose le principe selon lequel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Vous en avez une illustration récente dans un arrêt de la Cour de Cassation du 3 octobre 2024.
3ème Civ, 3 octobre 2024, n° 23-12.536
Une association cultuelle avait confié à une entreprise des travaux de construction d’un immeuble.
Confronté à l’absence de paiement de ses situations, le constructeur avait suspendu l’exécution de ses travaux, et avait assigné l’association en paiement et en résiliation du contrat.
La Cour d’appel a prononcé la résiliation judiciaire du contrat, et a condamné l’association à régler à l’entreprise l’indemnité prévue au titre de la clause pénale.
L’association a formé un pourvoi, et la Cour de Cassation l’a suivie dans son argumentation.
En l’occurrence, la clause prévoyait qu’en cas de retard dans la délivrance de l’ordre de service n° 2 au-delà d’un délai de 180 jours, le contrat serait résilié et le maître d’ouvrage devrait s’acquitter d’une indemnité égale à 30 % du montant des travaux restant à exécuter.
S’il s’agissait bien d’une clause pénale, puisqu’elle Il retient que cette clause constitue une clause pénale en ce qu’elle fixait forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractuelle, en revanche elle ne faisait référence qu’à une résiliation de plein droit pour retard dans la délivrance de l’ordre de service.
La résiliation pour non-paiement du prix des travaux n’était pas visée : dès lors, la clause pénale ne pouvait pas trouver application en cas de résiliation judiciaire pour défaut de règlement.
La Cour de Cassation a ainsi rappelé que le juge était tenu de respecter les contours de la clause pénale prévue contractuellement par les parties.
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