Désordre futur en droit de la construction
Bonjour à tous !
Aujourd’hui je vous propose de ressortir votre boule de cristal pour examiner la question des désordres futurs.
Vous le savez, le délai décennal des articles 1792 et suivants du Code Civil est un délai d’épreuve : seul l’écoulement de dix ans permet de juger de la solidité d’un ouvrage.
Pour mobiliser la responsabilité civile décennale des constructeurs, les désordres doivent ainsi revêtir une gravité décennale dans les dix ans.
Seulement parfois, les maîtres d’ouvrage engagent une action un peu précoce, et allèguent l’existence de dommages bien réels, mais qui ne sont pas encore de nature décennale.
C’est là qu’intervient la théorie jurisprudentielle des désordres futurs, qui permet de réparer des dommages qui ne relèvent pas encore de la garantie décennale mais qui bénéficient néanmoins de la présomption de responsabilité dans la mesure où leur gravité se révélera de façon certaine avant l’expiration du délai de dix ans.
Civ 3ème 21 mai 2003, n° 01-17.484
Civ 3ème, 18 mai 2017, n° 16-16.006
Selon la jurisprudence, les désordres futurs doivent répondre à deux conditions :
– Ils doivent être dénoncés judiciairement dans le délai décennal
– Ils doivent acquérir avec certitude un caractère décennal c’est-à-dire une atteinte à la solidité ou une impropriété à la destination, dans le délai de dix ans
Ils sont donc à distinguer des désordres évolutifs qui eux se sont d’ores et déjà produits dans le délai décennal, mais qui connaissent une évolution au-delà.
Un désordre futur est certain dans son principe, mais la date à laquelle il acquerra la gravité nécessaire est quant à elle inconnue.
C’est dans ce type de contentieux que l’importance du rapport d’expertise est encore plus cruciale.
Il appartiendra en effet à l’expert judiciaire de prévoir si les désordres donneront lieu avec certitude à un dommage de nature décennale dans le délai prévu par l’article 1792 du Code Civil.
Le caractère futur et certain du désordre ne pourra donner lieu à réparation qu’en présence d’un rapport d’expertise confirmant que l’atteinte à la solidité ou l’impropriété à destination sera acquise avant l’expiration des dix ans.
Cass Civ 3ème 4 Mars 2021 N° 19-20.280
Cette exigence de certitude a été tout récemment rappelée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 21 septembre 2022.
Cass Civ 3ème 21 septembre 2022 n° 21-15.455
Des maîtres d’ouvrage avaient confié des travaux de rénovation et d’agrandissement de leur maison à une entreprise, et après la réception, ils s’étaient plaints de désordres affectant la toiture.
La Cour d’Appel a condamné le constructeur à les indemniser sur le fondement de l’article 1792 du Code Civil, alors qu’elle avait conclu à l’absence de désordres constatés.
L’entrepreneur a formé un pourvoi en cassation, et la Haute Juridiction lui a donné raison.
La Cour de Cassation a relevé que l’expert judiciaire avait conclu que compte tenu des non-conformités constatées, il était certain que des défauts d’étanchéité avec dégât des eaux dans les pièces habitables apparaîtraient inéluctablement lors des pluies intenses avec vent.
Toutefois, la Cour a considéré qu’il n’était pas constaté que les désordres atteindraient de manière certaine, dans les dix ans après la réception, la gravité requise pour la mise en œuvre de la garantie décennale.
L’arrêt d’appel est donc cassé.
Si vous pratiquez les marchés publics, sachez que le juge administratif est plus favorable aux maîtres d’ouvrage publics puisqu’il accepte d’indemniser les désordres futurs même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans.
CE 31 mai 2010 n° 317006, Commune de Parnes
CE 9 novembre 2018 N° 412916, Commune de Saint-Germain-le-Châtelet
Vous l’aurez compris, les dons de voyance des experts judiciaires sont très prisés dans ce type de litige !
▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬ INFOS ▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬▬
Venez découvrir les différents domaines d’activités ainsi que les vidéos YouTube de Me Marine VENIN et abonnez-vous à sa chaîne !