Maitre d’ouvrage délégué : quelle assurance ?
Bonjour !
C’est avec grand plaisir que je vous retrouve pour débuter cette année 2024 avec de nouvelles vidéos qui vous seront, je l’espère, utiles.
Je vous propose de nous pencher sur la question du maître d’ouvrage délégué sous l’angle assurantiel : est-il assujetti à l’obligation d’assurance, d’une part, et peut-il bénéficier de l’assurance dommages-ouvrage, d’autre part.
Pour répondre à la première question, à savoir si le maître d’ouvrage délégué est assujetti à l’obligation d’assurance édictée par l’article L 241-1 du Code des assurances, il est nécessaire de déterminer s’il est soumis à la responsabilité décennale des constructeurs.
En effet, cet article prévoit que toute personne soumise à la RC décennale doit être assurée à ce titre.
Dans le cadre d’un marché public, la réponse est plutôt claire :
– Vous avez d’un côté l’assistant à maîtrise d’ouvrage, ou AMO, que la jurisprudence considère comme assujetti à la RC décennale, en raison de son rôle de conduite d’opération
– Et d’un autre côté, le délégataire de la maîtrise d’ouvrage, qui s’apparente à de la maîtrise d’ouvrage déléguée, dont le rôle est d’assurer la maitrise d’ouvrage en lieu et place de la personne pour le compte de laquelle l’ouvrage est réalisé, rôle que la jurisprudence administrative ne soumet pas à la RC décennale
On ne peut toutefois pas transposer ces solutions aussi simplement en marché privé, et il est nécessaire de ne pas se laisser leurrer par l’intitulé du contrat, mais bien d’examiner précisément les clauses, afin de déterminer si le maître d’ouvrage délégué est assujetti à la responsabilité civile décennale et donc à l’obligation d’assurance.
Si le contrat de maîtrise d’ouvrage délégué ne contient qu’un mandat de faire faire un certain nombre d’actes juridiques, par exemple passer les marchés ou représenter le maître d’ouvrage sur le chantier, avec une simple obligation de moyen, alors il échapperait probablement à la RC décennale.
Si en revanche des clauses prévoient l’engagement de livrer un ouvrage à une date précise, pour un prix maximum, à l’instar des obligations prévues pour le promoteur immobilier à l’article 1831-1 du Code Civil, alors la question la requalification du contrat de maîtrise d’ouvrage déléguée pourrait se poser, de même que son éligibilité à la RC décennale.
C’est donc l’étude du contrat qui vous permettra de caractériser si le maître d’ouvrage délégué est soumis à l’obligation d’assurance.
Nous pouvons maintenant inverser la question : si le maître d’ouvrage délégué peut être soumis à l’obligation d’assurance, peut-il de son côté bénéficier de l’assurance obligatoire ?
Vous le savez, l’article L. 242-1 du Code des assurances énonce que c’est le propriétaire de l’ouvrage qui souscrit l’assurance dommages-ouvrage.
Le maître d’ouvrage délégué, malgré sa dénomination, n’est ni maître d’ouvrage, ni propriétaire.
Peut-il alors bénéficier de l’assurance dommages-ouvrage en cas de sinistre ?
La Cour de Cassation a récemment répondu par l’affirmative, dans des circonstances particulières.
3ème Civ, 7 décembre 2023, 22-19.463
Afin de construire un bâtiment industriel, une fromagerie avait conclu un contrat de crédit-bail, qui prévoyait qu’elle était le maître d’ouvrage délégué du crédit-bailleur, propriétaire de l’immeuble.
Pour mémoire, un contrat de crédit-bail immobilier correspond à la mise en location, par un établissement spécialisé (le crédit-bailleur), d’un bien immobilier au profit d’une entreprise (le crédit-preneur). Cette entreprise a la possibilité de devenir propriétaire du bien au plus tard à l’expiration du bail.
Dans l’affaire qui nous intéresse, un contrat d’assurance DO avait été souscrit, et la réception était intervenue en 1999.
Alléguant l’existence d’infiltrations notamment, le crédit-preneur, qui n’était pas encore propriétaire de l’immeuble, a effectué plusieurs déclarations de sinistre en 2006 et 2009.
Puis le crédit-bailleur et le crédit-preneur ont saisi le Juge des référés, et une expertise a été ordonnée, et l’assureur DO a également été assigné.
La fromagerie est par la suite devenue propriétaire du bien en 2012.
La Cour d’Appel a déclaré recevable l’action engagée par la fromagerie à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage, si bien que ce dernier a formé un pourvoi devant la Cour de Cassation.
L’assurance considérait en effet que seul le propriétaire de l’ouvrage à la date du sinistre a qualité pour le déclarer à la DO. Or la fromagerie, lorsqu’elle avait effectué les déclarations, était crédit-preneur, et n’était pas propriétaire.
Le pourvoi n’a toutefois pas été accueilli sur ce moyen, dès lors que selon la Cour de cassation, dans la mesure où la police DO avait été consentie au profit tant du maître de l’ouvrage que du maître de l’ouvrage délégué, le crédit-preneur avait qualité pour déclarer les sinistres, avant même le transfert de propriété.
La qualité de maître d’ouvrage délégué peut donc entraîner le bénéfice de l’assurance DO, si la police le prévoit, en dérogation à l’article L. 242-1 du Code des assurances.
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