Opposabilité de l’expertise judiciaire : un rapport est opposable à un assureur sauf en cas de fraude.
La 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation a de nouveau eu l’occasion de se prononcer sur la question de l’opposabilité de l’expertise judiciaire à l’assureur (3ème Civ, 29 septembre 2016, n° 15-16342).
Un couple avait confié à une société la maîtrise d’œuvre et la construction d’un ensemble immobilier. Suite à la liquidation judiciaire de l’entreprise, le chantier avait été interrompu. Les maîtres de l’ouvrage avaient alors diligenté une expertise judiciaire, puis s’étaient tournés vers l’assureur du constructeur aux fins d’indemnisation de leurs préjudices.
La Cour d’Appel de Metz a considéré que le rapport d’expertise judiciaire n’était pas opposable à l’assureur dans la mesure où ce dernier n’avait pas été appelé à la procédure de référé, de sorte que le rapport ne pouvait constituer à lui seul la preuve des manquements contractuels du maître d’œuvre.
Cet arrêt d’appel a ainsi permis à la Cour de Cassation de se prononcer à nouveau sur l’opposabilité de l’expertise judiciaire à l’assureur. L’arrêt est cassé au visa de l’article 16 du Code Civil, qui pose le principe du caractère contradictoire des débats, la Haute Juridiction considérant que « l’assureur, qui, en connaissance des résultats de l’expertise dont le but est d’établir la réalité et l’étendue de la responsabilité de son assuré qu’il garantit, a eu la possibilité d’en discuter les conclusions, ne peut, sauf s’il y a eu fraude à son encontre, soutenir qu’elle lui est inopposable« .
La question de l’opposabilité de l’expertise judiciaire nourrit depuis longtemps les débats, les 2ème et 3ème Chambre Civile n’adoptant pas la même position.
Dans un premier temps, la Cour de Cassation a considéré qu’un rapport d’expertise judiciaire n’était opposable qu’aux seules parties appelées à la cause, les deux Chambres étant sur ce point d’accord.
Dans un deuxième temps, les magistrats ont estimé que le rapport pouvait servir de preuves s’il était corroboré par d’autres éléments, solution dégagée implicitement (3ème Civ, 26 avril 2006, n° 04-16382).
Puis la 2ème Chambre Civile a précisé sa position à l’égard des assureurs, décidant que les rapports d’expertise judiciaire leur était opposables dans la mesure où ils avaient pu en discuter les conclusions dans le cadre de la procédure, et sauf fraude à leur encontre, étant suivie en cela par la 3ème (2ème Civ, 19 novembre 2009, n° 08-19824). La 2ème Chambre est allée plus loin en jugeant que toute partie peut se voir opposer un rapport auquel elle n’a pas participé si ce dernier a été soumis à la discussion contradictoire dans le cadre de la procédure, et peut ainsi être condamnée sur la base de ce seul rapport (2ème Civ, 8 septembre 2011, n° 10-19919).
Ce revirement jurisprudentiel n’a pas été suivi par la 3ème Chambre, cette dernière maintenant l’inopposabilité d’un rapport d’expertise judiciaire à une partie absente pendant les opérations, sauf si d’autres éléments de preuve sont apportés.
La 3ème Chambre Civile maintient donc une différence de traitement entre un assureur et une partie quelconque, l’opposabilité de l’expertise judiciaire à l’assureur étant plus facilement admise, même en l’absence d’autres éléments de preuve.
A ce jour, la Chambre Mixte de la Cour de Cassation n’a pas encore tranché le différend.