Professionnel et clause abusive : comment le Juge les caractérise ?
Bonjour à tous !
Aujourd’hui je vous propose d’étudier un récent arrêt de la Cour de Cassation portant sur le caractère de clause abusive dans un contrat d’architecte.
Depuis une quinzaine d’années, les conventions de maîtrise d’œuvre ont intégré des clauses limitatives de responsabilité.
Leur légalité a été discutée, et la jurisprudence a notamment utilisé le droit de la consommation et la notion de maître d’ouvrage non professionnel pour écarter la validité de ce type de clauses.
L’article R 212-1 du code de consommation dispose en effet que :
Dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, les clauses ayant pour objet ou pour effet de notamment, supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations.
Pour les contrats conclus après 2017, l’article 3 liminaire du Code de la consommation, introduit par la loi du 21 février 2017, définit comme non-professionnel toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles.
Mais pour les contrats conclus avant 2017, c’est la jurisprudence qui a été amenée à définir la notion de non-professionnel, et elle a beaucoup varié.
Dans un premier temps, la Cour de Cassation a estimé qu’à partir du moment où un professionnel intervenait en-dehors de son domaine de spécialité, alors il devait être protégé en qualité de non-professionnel, et ainsi revêtir la qualité de consommateur.
1ère Civ, 28 avril 1997, n° 85-13.674
Quelques années plus tard, la Cour de Cassation a adopté une définition plus concrète de la qualité de maître d’ouvrage non professionnel, considérant que l’activité exercée devait avoir un rapport direct avec l’objet du contrat dont une clause était prétendue abusive.
1ère Civ 24 janvier 1995, n° 92-18.227
La Haute Juridiction a peu à peu considéré que ce rapport direct tenait au seul fait que la convention était régularisée pour les besoins de l’activité professionnelle.
1ère Civ 21 février 1995, n° 93-14.041 ; 3ème Civ 17 octobre 2019, n° 18-18.469
Mais un nouveau revirement est effectué ensuite, pour revenir à la définition d’origine, se fondant sur le critère de la compétence requise pour l’exercice d’une activité : c’est le fameux arrêt où la Cour de Cassation a estimé qu’un promoteur immobilier était un professionnel de l’immobilier et non un professionnel de la construction.
3ème Civ, 4 février 2016, n° 14-29.347 ; 3ème Civ, 7 novembre 2019, n° 18-23.259
L’arrêt que je vous propose d’étudier aujourd’hui est un énième revirement de jurisprudence, puisque la Cour de Cassation reprend son critère de l’exercice de l’activité pour juger du caractère abusif d’une clause limitative de responsabilité dans un contrat d’architecte, dans une espèce où le contrat avait été conclu avant 2017.
3ème Civ, 25 mai 2023 n° 21-20.643
L’hôtel le Bristol à Paris avait confié des travaux d’extension de son immeuble à un architecte. En cours de chantier, le maître d’ouvrage a résilié le contrat de maîtrise d’œuvre ainsi que celui des entreprises.
L’hôtel s’est plaint de retards et de malfaçons, et a assigné l’ensemble des intervenants et leurs assureurs.
La Cour d’appel a fait application de la clause limitative de responsabilité figurant dans le contrat d’architecte, qui n’a donc pas été condamné in solidum avec les autres défendeurs.
Le maître d’ouvrage a formé un pourvoi, mais la Cour de Cassation a suivi le raisonnement des Premiers Juges.
Elle a constaté que le Bristol avait conclu un contrat de maîtrise d’œuvre pour étendre l’hôtel qu’elle exploitait.
Les Juges ont donc relevé que le contrat avait un rapport direct avec l’activité professionnelle du maître de l’ouvrage, si bien qu’il ne pouvait pas être considéré comme un non-professionnel, peu important ses compétences techniques dans le domaine de la construction.
La Cour de Cassation a donc considéré qu’en l’espèce, la clause limitative de responsabilité n’était pas abusive, puisque selon elle, les dispositions du Code de la Consommation ne s’appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle du maître de l’ouvrage.
Vous le voyez, la jurisprudence est très fluctuante quant à la définition du professionnel quand la question de clause abusive est posée.
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