Réemploi : l’imposer constitue-t-il une immixtion fautive du maître d’ouvrage ?
Bonjour ! Dans cette vidéo, je vous propose d’aborder le fait pour un maître d’ouvrage de stipuler dans les marchés la mise en œuvre d’élément issu du réemploi : est-ce constitutif d’une immixtion ?
La mise en œuvre d’éléments réemployés pour la construction d’un ouvrage s’inscrit dans une démarche de développement durable, qui à défaut d’être directement imposée par les textes, l’est peu à peu par le biais des dispositions sur la performance environnementale, toute entière tournée vers la diminution de l’empreinte carbone des constructions.
Pour satisfaire à ces nouvelles exigences, et parfois aussi dans un souci de communication, les Maitres d’ouvrage sont amenés dans les marchés à prévoir l’obligation pour les constructeurs de mettre en œuvre des éléments issus du réemploi.
Si nous laissons de côté la stipulation de clauses excluant la responsabilité, qui serait évidemment sans portée s’agissant des dispositions d’ordre public sur la responsabilité décennale, et je vous invite à vous reporter à l’article 1792-5 du Code Civil sur ce point, la question de l’immixtion est alors régulièrement posée.
Peut-on considérer que cette démarche serait constitutive d’une « immixtion fautive du maitre de l’ouvrage dans l’acte de construire », susceptible de justifier l’application d’une cause exonératoire de la responsabilité décennale, telle que prévue par l’Article 1792 du Code Civil ?
Si une réponse positive semble s’imposer intuitivement, la réalité juridique se révèle tout autre et ce, pour au moins deux raisons :
1ère raison : l’immixtion doit être fautive
Pourrait-on concevoir comme fautif, le fait pour un maitre d’ouvrage, sous le contrôle du maitre d’œuvre d’exécution, de proposer à la signature d’une entreprise, un marché de travaux lui faisant obligation de mettre en oeuvre pour partie des éléments réemployés pour réaliser l’ouvrage qu’il sera appelé à réaliser sous sa responsabilité ?
La Cour de cassation a eu récemment l’occasion de répondre par la négative à cette question, alors même que l’intervention du maitre d’ouvrage se situait après la signature du marché.
Aux termes d’un arrêt de février 2020, la Cour a prononcé la cassation d’un arrêt rendu par une Cour d’Appel qui avait considéré comme constitutif d’une immixtion, le fait pour un maitre d’ouvrage d’exprimer des souhaits, au cours de l’exécution du marché, alors « qu’il appartenait aux constructeurs de refuser s’ils les estimaient inconcevables techniquement ».
Civ 3ème 13 février 2020 N° 19-10.294
On peut rappeler à cet égard que le contrat de louage d’ouvrage n’est pas un contrat de travail et que le locateur d’ouvrage exécute ses travaux en toute liberté à la différence du salarié lié au commettant par un lien de subordination.
On imagine qu’a fortiori, si le souhait était exprimé avant même la signature du marché, rien n’obligerait l’entrepreneur à signer.
Nous ne sommes même pas ici en présence d’un maitre d’ouvrage qui se réserve la maitrise d’œuvre, puisqu’il agit sous le contrôle de la maitrise d’œuvre à qui il a exprimé son souhait.
On retrouve le même raisonnement dans l’hypothèse où le Maitre d’ouvrage, outre le fait d’imposer les matériaux, les fournit à l’entreprise après les avoir achetés lui-même.
Civ 3ème 19 septembre 2019 N° 18-15.710
Cela s’ajoute à la longue liste des arrêts particulièrement restrictifs pour admettre l’immixtion, sur l’absence de compétence notoire du promoteur dans l’acte de construire.
2ème raison : l’immixtion doit être le fait d’un maitre d’ouvrage notoirement compétent dans l’art de construire
Les promoteurs sont compétents dans l’art du montage d’une opération, mais absolument pas dans l’art de construire.
Dès lors leurs interventions sont sans conséquence sur la responsabilité des constructeurs.
Un arrêt rendu en 2016 par la Cour de Cassation avait ainsi énoncé que « la SCI, promoteur immobilier, était un professionnel de l’immobilier mais pas un professionnel de la construction ».
Civ 3ème 4 février 2016 N° 14-29.347
Ces deux raisons font qu’il est fort probable qu’imposer le réemploi ne serait pas considéré comme une immixtion fautive du maître d’ouvrage par la jurisprudence.
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